Comptabilité environnementale : quels sont ses objectifs ?
Afin de refléter une image plus fidèle de la réalité des entreprises, s’est développée ces dernières années une comptabilité environnementale. L’objectif : reprendre les principes de la comptabilité traditionnelle pour l’étendre aux capitaux naturels et humains en plus du capital financier.
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Pour maintenir le réchauffement climatique mondial en-dessous de 1,5°C, comme le prévoient les Accords de Paris, les entreprises doivent mener leur transition climatique. Et si cela passait par la comptabilité ? Des expérimentations visent en effet à construire une comptabilité écologique qui prend en compte non pas uniquement les capitaux financiers mais aussi les capitaux environnementaux et humains.
« La comptabilité est censée représenter une image fidèle de la réalité d’une entreprise. Or, elle ne montre pas ce qui se passe au niveau des personnes et des éco-systèmes. Il s’agit donc de repenser cette comptabilité afin qu’elle soit multicapitaux », résume Aurélien Oosterlinck, coordinateur de la chaire comptabilité écologique.
Cette dernière, portée par la Fondation AgroParisTech, est le fruit d’un partenariat entre des organismes de l’enseignement supérieur (AgroParisTech, Université Paris Dauphine, Université de Reims Champagne-Ardenne, Institut Louis Bachelier), des organismes institutionnels (Ministère de la Transition écologique, Conseil National de l’Ordre des Expert-Comptable), des entreprises (LVMH, Compta Durable, CDC Biodiversité) et se donne pour objectif de développer des comptabilités en durabilité forte.
Comptabilité environnementale : valoriser la nature et l’humain
Comment développer une comptabilité environnementale ? Il existe plusieurs méthodes. On peut par exemple opter pour la comptabilité biophysique qui consiste à mesurer différents éléments comme les émissions de gaz à effet de serre, les déchets ou encore la quantité de vers de terre… On définit en parallèle des seuils à ne pas dépasser. On peut aussi se diriger vers la comptabilité monétaire, qui consiste à tisser un lien entre le financier et l’extra-financier. La question est alors de savoir comment valoriser l’humain et la nature.
Il existe deux grandes approches : l’approche par soutenabilité faible et l’approche par soutenabilité forte.
L’approche par soutenabilité faible consiste à autoriser des substitutions entre différents types de capitaux. Ainsi, on peut substituer des abeilles par des capitaux financiers en estimant combien coûte le service rendu par les abeilles, c’est-à-dire la pollinisation (estimée à 153 milliards d’euros par an par une étude de chercheurs de l’INRA et du CNRS).
Le coût – très important dans cet exemple – incite à mettre en place des actions pour préserver les abeilles. « Le problème c’est qu’on ne valorise la nature qu’à travers les services qu’elle peut rendre. C’est réducteur – tout n’est pas substituable – et cela peut même conduire à des actions qui vont à l’encontre de la nature : dans l’exemple des abeilles, on pourrait avoir intérêt à ce que les abeilles disparaissent si on a mis au point des drones pollinisateurs », met en garde Aurélien Oosterlinck, pointant du doigt les limites de la valorisation de la nature.
Différents passifs à rembourser
C’est pourquoi la chaire de comptabilité écologique favorise la soutenabilité forte. « On ne rapporte pas tout à une seule richesse, le capital financier, mais on considère qu’il y a plusieurs richesses. Et cela change tout : les impacts sur les abeilles, le cycle de l’eau, la forêt etc deviennent des problèmes en eux-mêmes et tout est fait pour préserver ces multiples richesses », explique Aurélien Oosterlinck. Ainsi, la comptabilité n’est plus exclusivement financière mais s’oriente vers les multicapitaux : pour se développer, l’entreprise emprunte, elle a différents passifs qu’elle doit ensuite veiller à rembourser.
« Par exemple, l’entreprise doit respecter son budget carbone – évalué à l’échelle mondiale puis à des échelles sectorielles ou régionales grâce à des initiatives telles que les SBTi – pour ne pas dégrader son capital atmosphère et suit pour cela la trajectoire définie par le GIEC pour rester en dessous de 2°C d’augmentation de la température. Si ce budget n’est pas respecté, l’entreprise a une dette et doit se poser la question des actions à mettre en oeuvre pour rembourser la dette écologique. Des actions qui ont un coût : l’entreprise va provisionner l’argent pour déclencher ces actions de réparations », raconte Aurélien Oosterlinck.
Il existe là aussi un chiffrage financier, sans pour autant monétiser la nature. L’idée est de rembourser la nature, de la remettre en état et de mener pour cela des actions qui ont un coût. « L’argent provisionné ne va pas dans un pot commun mais est bien ciblé sur des actions de réparation écologiques », précise Aurélien Oosterlinck. L’objectif est donc bien de mener ces actions. Cela peut-être reboiser, par exemple. « Mais il faut que ce soit fait sérieusement et ne pas se limiter à des crédits carbone ou de la compensation. On peut imaginer de passer par un expert scientifique qui évalue ce qui doit être fait, quelles espèces planter, où et à quelle temporalité pour que la dette soit remboursée », avance Aurélien Oosterlinck.
Mettre en avant les bons élèves
La chaire comptabilité écologique espère aussi qu’un tel système de comptabilité puisse servir à mettre en avant les bons élèves, c’est-à-dire les entreprises qui sont peut-être moins rentables d’un point de vue financier, mais qui ont un meilleur impact au niveau humain et écologique. « Cela peut donner des clés aux pouvoirs publics afin d’accorder des subventions », imagine Aurélien Oosterlinck. Un nouveau niveau d’information qui peut également intéresser les investisseurs qui souhaitent davantage investir dans des entreprises durables.
Une fois cette formation suivie, il est ensuite possible de définir et mettre en place un projet de recherche ou d’expérimentation de comptabilité environnementale. De quoi ensuite réellement intégrer l’humain et la nature dans sa stratégie.